Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 avril 2008 7 06 /04 /avril /2008 13:57
Rouge & Vert, le journal des Alternatifs a interrogé José Bové sur son actualité militante (le soutien à l'USTKE et la lutte contre les OGM). Nous sommes aussi revenus sur la présidentielle et les suites de cette campagne.


 Rouge & Vert : Tu es très impliqué dans le soutien aux militants de l'USTKE victimes de répressions policières et judiciaires en. Peux-tu revenir sur cette lutte ?

 José Bové : Je parlerais plutôt de Kanaky que de Nouvelle-Calédonie, car c'est bien le cadre d'action de l'USTKE, le seul syndicat indépendantiste et aussi le premier syndicat en terme de représentativité, très loin devant les autres, avec une implantation très forte dans le publique comme dans le privé. L'USTKE, à partir de sa réflexion syndicale, a décidé de favoriser l'émergence d'un nouveau parti politique, le Parti Travailliste (créé au mois de novembre dernier). Ces militants avaient soutenu notre campagne présidentielle*, se sont présentés aux législatives et aux municipales. Ils ont arraché des élus dans la totalité des communes et ils ont gagné une commune dans le Nord. Entre le syndicat, acteur social incontournable, et son parti, réellement indépendantiste, et qui bouscule les indépendantistes «institutionnels», l'USTKE devient vraiment le syndicat à abattre à la fois pour le MEDEF local et pour l'Etat français

R & V : Quelle est l'origine du conflit actuel ?
JB : Un licenciement abusif chez Véolia.Un chauffeur ramène la caisse de son bus un matin parce qu'il n'y avait personne la veille dans les bureaux à qui la remettre. Il est accusé de vol et licencié. Il y a négociation. Un protocole d'accord est signé en janvier 2007. Il n'est toujours pas appliqué aujourd'hui. En Novembre, les camarades de son entreprise se mettent en grève, soutenus par l'USTKE, et installent des piquets de grève. La tension monte et en Janvier 2008, à l'aube, les gendarmes et le GIPS (forces de police cagoulées, flash-balls et compagnie) encerclent puis chargent les militants présents. Des violences policières absolument invraisemblables ! Des gens tabassés à terre, attachés les uns sur les autres et entassé par 20 dans les fourgons de police. 50 arrestations et 15 personnes jugées en comparutions immédiates pour « attroupement armé » parce qu'ils ont jeté des cailloux ! Comme ils refusent la comparution immédiate, ils sont emprisonnés un mois A la mi-février le procès à lieu. Ils sont libérés à l'audience. En effet, on ne peut pas juger en comparution immédiate pour attroupement, car l'attroupement, et c'est une information importante pour un journal militant, est le dernier délit politique du code pénal. Il date de 1848 et a été renforcé en 1934, après les affrontements de la place de la concorde avec les cagoulards. Les délits politiques imposent automatiquement une enquête, et donc interdisent la comparution immédiate. On a donc obtenu leur libération.

R & V : Au même moment, il y avait le siège de l'USTKE...

J B : L'Etat a voulu abattre le syndicat en interpellant ces leaders, notamment son président Gérard Jodar et plusieurs vice-présidents, le jour même de la descente sur les piquets de grève. Dans les jours qui ont suivi, ils ont arrêté d'autres leaders du syndicat chez eux, à six heures du matin, en fracassant les portes, en renversant tout. Les responsables du syndicat, eux, se sont enfermés au siège du syndicat, immédiatement assiégé par la police et défendu par les militants. Pendant un mois, ils sont restés enfermés au siège du syndicat, avec tout le quartier bouclé. Fouilles systématiques, quartier sous surveillance, hélicoptères en position stationnaire plusieurs heures par jour. . . Bref un état de siège. Et le premier jour où les copains sont sortis du siège du syndicat, ça a été pour le procès. Ça a été une vraie gifle pour la justice coloniale : ils ont dû en même temps libérer les 15 inculpés et les personnes qu'ils traquaient sont venus sous leur nez au tribunal (ils ne pouvaient pas arrêter des personnes citées comme témoin se rendant au tribunal). Plus de 1000 syndicalistes ont fait le siège du tribunal jusqu'à notre sortie, à 21h. Ce moment de mobilisation très fort a permis de faire durer le mouvement. Malgré la répression, le piquet de grève est toujours sur place, avec une solidarité extraordinaire puisque les gens se relaient par branches.

R & V : Et aujourd'hui?

JB : Des procès sont en cours. Il y a une véritable volonté de casser le mouvement. On ne s'attend à aucune clémence du tribunal. Il y a eu une nouvelle convocation des responsables de l'USTKE. Ils ont été libérés après 12h de garde-à-vue grâce au siège du commissariat central de Nouméa que nous avions organisé. Huit salariés de l'entreprise du patron du MEDEF local qui avaient participés au rassemblement de soutien le jour du procès ont été licenciés pour absence injustifiée. L'USTKE est allée manifester devant le siège du MEDEF et, après une heure de stationnement pacifique, ils ont subi une intervention du GIPN cagoulé et armé pour les déloger. Nouvel accrochage. Il y a un durcissement des positions. Nous avons organisé une manifestation rue Oudinot, devant le ministère des colonies**. Nous avons été reçus par un représentant du ministre. Ils se sont engagés à inciter Véolia à ouvrir le dialogue. Parce qu'il faut trouver un débouché. De toute façon, (et c'est un peu la spécificité de l'USTKE), ils ne lâchent pas tant qu'ils n'ont pas gagné. Par exemple, pendant le dernier conflit dur, l'USTKE avait totalement bloqué pendant plus de six mois la fabrication du ciment sur l'île. À la fin du conflit, ils ont produit eux-mêmes le ciment et ils l'ont vendu pour payer les grévistes. C'est un vrai syndicalisme de combat.

R & V : Véolia est surtout implanté en France. Y a-t-il une mobilisation syndicale en métropole?

JB : Il y a une manifestation devant le siège de Véolia organisée par la CGT et SUD ainsi qu'un tractage à l'intérieur de l'entreprise, réalisé par FO. S'il n'y a pas d'évolution positive, cette mobilisation devra s'amplifier. On envisage un évènement festif et politique à Paris pour mettre cette question en avant. Il y a une véritable omerta en métropole sur ce qui se passe en Kanaky.

R & V : Changeons de sujet : tu es toujours très impliqué dans la lutte contre les OGM. La aussi, il y a une actualité.

 JB : Apres la grève de la faim de Janvier qui a débouché sur l'annonce de l'activation de la close de sauvegarde, on a bataillé tout le mois de février sur le cadre d'application de la clause, et pour éviter qu'elle ne soit torpillée par le ministère de l'Agriculture. La clause de sauvegarde a été déposée de manière cohérente, ce qui est important. Il y a aussi eu un décret interdisant la culture et la vente de semences sur le territoire français. Ça a été immédiatement attaqué sans succès devant le Conseil d'état par la FNSEA, sa section spécialisée, l'association Générale des Producteurs de Maïs et tous les semenciers en France (Monsanto, Pioneer, Syngenta et Limagrain). L'enjeu était de taille : si Conseil d'état avait cassé l'interdiction, les transgéniculteurs auraient pu semer cette année. On a maintenant la garantie quasi-certaine qu'il n'y aura pas d'OGM commerciaux de manière publique en France. Il y aura bien quelques crapules pour essayer de tricher, mais on va les surveiller. R & V : C'est une victoire importante ? JB : Très, parce que la France, avec 3 millions d'hectares, est le premier producteur de maïs en Europe. Que la France rejoigne l'Allemagne, l'Italie, l'Autriche, la Hongrie, la Grèce, et j'en passe, voilà qui crée un sacré rapport de force au niveau européen ! Le phénomène d'entraînement pour les autres pays peut être très fort. Il y a actuellement une mobilisation dans ce sens-là en Roumanie et j'étais à une rencontre à côté de Bibao les 15 et 16 mars avec l'ensemble des mouvements paysans et écologistes de la péninsule Ibérique pour lancer un mouvement coordonné sur ces deux pays, pour demander l'application d'une clause de sauvegardes sur toute la péninsule Ibérique.

R & V : Il devrait aussi ne plus y avoir d'essais en plein champ.

JB : On sait que les firmes essaient toujours de mettre en place des essais pour tester de nouvelles variétés. On a mené la bagarre depuis le début sur ces essais, sur leur finalité non pas scientifique mais technique, en vue d'être inscrit au catalogue. Outre les raisons écologiques, c'est l'autre raison qui nous a poussé à mener la bataille : en empêchant ces essais, on empêche l'inscription de nouvelles variétés, et donc on attaque directement les firmes au porte-monnaie. C'est ce qui poussé Limagrain à arrêter tous leurs essais en Europe (ces deux dernières années, ils ont vu 70% de leurs essais détruits). Ils travailleront maintenant aux USA. Qu'ils partent donc, on ne les retiendra pas!

R & V : Et les pro-OGM?
JB : Aujourd'hui, on est confronté à l'esprit revanchard des pro-OGM qui se manifeste déjà au travers du débat qui a commencé au Sénat début mars sur la loi sur les OGM. Elle correspond à la directive européenne sur les OGM 2001-18, qui doit être traduit dans les droits nationaux de chaque pays depuis 2001! Elle passe à l'Assemblée Nationale les 1er et 2 avril, et repassera au Sénat fin avril. Alors que le Grenelle de l'environnement avait conclu qu'il fallait, outre la clause de sauvegarde et le moratoire, une loi sur la liberté de produire et consommer sans OGM. Or le lobby OGM, soutenu par la majorité UMP, a dénaturé au Sénat le contenu de la loi. C'est devenu une loi de dissémination et de coexistence, ce qui est très défavorable aux anti-OGM et en contradiction avec l'esprit du projet. Cela s'est conclu par un vote avec 30 voix d'écart, ce qui montre que même dans la majorité, il y a des gens qui sont très mal a l'aise. On va voir ce qui va se passer à l'Assemblée Nationale. Il est clair qu'on n'a pas fini cette bataille.

R & V : Encore un autre sujet : au moment de la présidentielle, tu as participé à l'ouverture d'une fenêtre politique pour un espace militant différent, à la foi altermondialiste, écolo, solidaire, féministe anti-raciste. Est-ce une parenthèse qui se referme dans ton parcours militant, ou y a-t-il pour toi un espace à faire perdurer et d'autres rendez-vous dans l'espace strictement politique ?

JB : Avec le recul, ça fait un an maintenant, je pense que ça a été une expérience très riche, très forte. Elle a mis beaucoup de gens en mouvement, plus même que je pouvais imaginer. On l'a revu d'ailleurs au moment des municipales : il y a beaucoup de gens qui s'étaient impliqués dans la présidentielle qu'on a retrouvée lors des municipales, dans des constructions ouvertes pour faire de la politique autrement. Des choses se sont passées qui à mon avis sont fortes. L'expérience des présidentielles a permis de montrer qu'il y avait un espace politique et qu'on était capable de relever le pari de présenter un candidat en dehors des logiques partidaires. Je n'ai pas été surpris du score dans ce contexte des logiques des gros partis, des logiques médiatiques, du temps court (on a fait une campagne de deux mois et demi alors que d'autres y étaient déjà depuis un an). On a ne pouvait s'attendre à un autre résultat en termes de voix. Cependant, on a touché et l'on a pu mobiliser des gens qui autrement ne se seraient jamais mobilisés. On a eu parmi nous beaucoup d'invisibles, et ces invisibles, on a pu les rendre visibles et leur donner la parole. Ça c'est important, c'est une chose qui s'inscrit dans la durée. Des gens qui n'étaient pas dans le débat politique se retrouvent aujourd'hui conseillers municipaux, en particulier dans certaines villes de banlieue. Il y a eu une prise de conscience qu'être dans les mouvements sociaux n'était pas forcément suffisant, qu'il y avait d'autres espaces possibles d'implication politique. Et ce phénomène n'a pas lieu que dans les grande villes. On trouve aussi en milieu rural, dans des départements où la présidentielle avait fait beaucoup bouger, des listes aux municipales qui ont fait des scores intéressants.

R & V : Et la suite ?

JB : Sur quoi ça peut déboucher aujourd'hui ? Je crois qu'il est nécessaire de continuer dans ce sens-là, dans cette logique d'ouverture, de débat, mais en même temps d'être vigilant sur ce qui se passe. On voit bien ce que la LCR veut faire, et qui n'apporte pas une véritable nouveauté, ni en termes de pratiques ni en termes de discours. J'aime bien Olivier Besancenot, mais son projet ne correspond pas à l'aspiration de ces nombreuses personnes qui veulent faire de la politique autrement, qui veulent que cette réalité citoyenne prenne le dessus. Nous sommes plutôt dans un processus lent (ça ne va pas se régler en quelques semaines ni quelques mois), mais qui porte en lui une vraie espérance. C'est quelque chose de long, parce que cela s'inscrit dans des réalités nationales et européennes, dans un contexte de bipolarisation. Les élections européennes sont, potentiellement, l'occasion de faire émerger, comme ça s'était fait en Midi-Pyrénées aux Régionales avec des listes ouvertes et pluralistes, un espace composé de l'éventail politique le plus large (pas en termes de consensus mou). Mais ça ne se fera pas un mois avant les Européennes. Il faudrait déjà y travailler aujourd'hui. D'autant que ceux qui auront créé de nouveaux partis voudront sans doute à cette occasion se compter.

Interview réalisée par MC

* Au premier tour de la présidentielle en Nouvelle-Calédonie, José Bové était arrivé en 4e position, derrière Sarkozy, Royal et Bayrou.
** Autrement appelé «secrétariat d'Etat chargé de l'outre-mer auprès du ministère de l'Intérieur, de l'outre-mer et des Collectivités Territoriales»
Partager cet article
Repost0

commentaires

Retour Page D'accueil

  • : Le blog de Magali Braconnot
  • : Parce que d'autres mondes sont possibles et necessaires, il est urgent de proposer des alternatives à la marchandisation généralisée. Résister, lutter, proposer, agir ensemble pour des sociétés solidaires, féministes, écologistes, autogestionnaires, antiracistes !
  • Contact

Bonjour et bienvenue!















Parce que d'autres mondes sont possibles et nécessaires, il est urgent de proposer des alternatives à la marchandisation généralisée. Résister, lutter, proposer, agir ensemble pour des sociétés solidaires, féministes, écologistes, autogestionnaires, antiracistes !

Archives